Grand habitué des voyages, celui qui a grandi entre « l’Afrique de l’Ouest, la France et les USA » arpente désormais la planète, appareil photo en bandoulière, offrant une lecture du monde en formes et couleurs qui de plus en plus marquent son sillage, cristallisent sa signature.
Des pays qui l’ont marqué, à sa définition du laid, en passant par la plus belle expérience rencontrée lors de ses différents périples, interview avec un artiste d’émotion et de raison qui, bien qu’ayant expérimenté l’obscurité de l’homme, continue à le penser tel un « être de lumière ».
Vous êtes métis. Dans un monde de plus en plus clivant, comment vivez-vous cette dualité ?
Etre métis pour moi est un atout, car quand plusieurs cultures se rejoignent, la richesse en ouverture d’esprit s’en trouve décuplée. Le monde d’aujourd’hui efface de plus en plus les frontières qui séparent et ségréguent la race humaine, être métis est à l’image de notre époque.
De par votre expérience en photo et dans la vie, noir et blanc sont-elles des couleurs antinomiques ?
Non je ne le pense pas. Je les vois plutôt comme une même entité qui change d’aspect le long d’un spectre.
Votre nom Alun Be a-t-il une signification particulière ?
Alun Be est un jeu de mots tiré de mon prénom et nom de famille : « Alun » référence à la capacité naturelle de la pierre d’alun à fixer la matière, « Be » l’importance d’être, d’exister par soi-même (To be).
Pourriez-vous nous tracer votre parcours ?
Ma passion pour la photographie voit le jour pendant mon adolescence et ne me quitte plus même à travers mes études d’architecture aux Etats-Unis. C’est en 2015 que mon travail est dévoilé au grand public à travers une série de portrait intitulée “Empowerment de Femmes en Action”, présenté pour la première fois lors de l’Exposition Universelle de Milan avant de passer par Paris et à la Biennale 2016 de Dakar. Des clichés qui cherchent à dépasser les portraits communément réalisés sur l’Afrique. Depuis, je suis sur de nombreux projets artistiques.
Qu’est ce qui chez vous fit naitre l’amour de la photo ?
Ce miroir chez l’autre. Pouvoir ressentir les émotions et les sensations des autres. Ce fil invisible qui nous lie tous
Entre vos deux métiers : architecte et photographe, l’un prime t-il sur l’autre ou se nourrissent t-ils ?
Ces activités se nourrissent mutuellement, et ouvrent des portes vers de nouveaux horizons. Je joue beaucoup de musique dans mes heures perdues et je sais que la musique influence mon architecture qui à son tour influence ma photographie.
Vous faites beaucoup de portraits. Est ce la partie du corps que vous aimez le plus photographier ?
J’aime capturer l’humain dans mes photographies. Je mets le focus sur les visages et la marque du temps sur les peaux.
Que symbolisent les visages pour vous ?
Derrière les visages se cache l’âme dans la profondeur des yeux. Pour moi un visage est une des portes vers l’âme.
A un moment, pour le photographe, l’acte de photographier devient-il une servitude volontaire ?
J’ai vécu une période ou je disais oui à tout, ou j’étais esclave de mon art. Mais aujourd’hui je choisis mes sujets et je préserve mes ressources.
Êtes-vous un homme de l’instant ou de la planification de l’instant ?
Je suis un homme en équilibre avec l’instant et la planification de l’instant. J’essaye d’être professionnellement rigoureux mais a partir du moment où je fais mes prises de vue, je reste ouvert à la spontanéité.
Quels sont les pays où vous avez exposé ?
J’ai eu la chance de présenter mon travail en Italie, en France, en Angleterre, au Sénégal, aux Etats Unis, et bientôt en Hollande et en Espagne.
Les expositions qui vous ont le plus marqué ?
Une exposition de rue en particulier dans le XXe arrondissement à Paris. Elle était accessible à tout le monde et c’était beau de voir des personnes s’arrêter en pleine rue pour prendre le temps d’absorber les émotions de mes photographies.
Le pays qui selon vous vous a offert la meilleure luminosité pour un photographe ?
Cuba sans aucun doute, la lumière y est sublime.
L’appareil photo isole t-il le photographe de l’émotion de la scène photographiée ou au contraire lui permet il de mieux faire corps faire avec elle ?
Les deux. On se rapproche beaucoup de son sujet émotionnellement, mais on perd de vue une partie de la magie du moment.
Faut-il mettre toute émotion de coté pour photographier ou l’émotion - quelque soit son ordre - demeure déclencheuse et matrice de l’acte ?
Je pense que pour atteindre le domaine de l’âme, il faut s’y rendre à cœur ouvert. Les émotions demeurent l’ingrédient clé de l’acte/art
Déformation professionnelle oblige, le laid devient‘ il beau dans l’œil du photographe ?
Oui le laid devient beau dans l’œil du photographe, car le photographe a tendance à photographier ce qu’il aime, et l’amour embellit la vie.
Que pensez vous de Photoshop, qui pour certains serait d’un apport aussi décisif à la photo que la révolution industrielle le fut à l’industrie au XIIIe siècle ?
Photoshop est un outil très puissant, comme l’avion qui nous permet d’atteindre rapidement notre destination. Mais trop de Photoshop dénaturalise la beauté. Moi je suis plutôt un adepte de l’éclairage pointu qui vous donnera une photographie insolite.
Que dire des phobiques des photos ?
Il y a beaucoup de personnes qui sont très charismatiques et pour autant sont des phobiques des photos. Ce sont mes sujets favoris car avec eux mon travail agit comme une efficace thérapie.
La photographie est-elle une question de cœur, de raison ou de pure esthétique ?
Dans mon cas, c’est une question de cœur et de raison. L’esthétique est le résultat.
Votre définition du beau ? Celle du laid ?
Le beau est dans l’état d’esprit et l’action. Le laid est dans l’état d’esprit et l’inaction.
Le numérique étant tout puissant, l’argentique a-t-il toujours sa place ? L’utilisez-vous ?
Je préfère l’argentique au numérique. Mais je pense que la grande différence entre les deux c’est plutôt le prix de production et le temps que cela prend.
Quels sont les photographes africains et étrangers dont les œuvres vous touchent ?
J’aime beaucoup Joanna Choumali, Hai Chams, Malick Welly, Siaka Traoré, Mario Macilau.
S’il vous fallait élire une seule de vos photos, ce serait ?
La photo de la vieille dame au foulard multicolore « Madame Sidibé ». Après le photoshoot j’étais persuadé que la photo était ratée et au final elle est quasiment la plus belle photo de la série.
