S’il est vrai que chacun de nous a une mission à remplir sur cette terre, une place toute particulière dans la création, alors c’est pour chanter qu’il est venu au monde, un soir de 25 décembre, mais pas à Bethléem, ni il y a deux mille ans. C’était en 1968, à Ziguinchor au Sénégal.
Sortant des sentiers battus, Chérif Mbaw écoutait toutes les musiques, même les plus étrangères à sa culture sénégalaise, sous le regard parfois sceptique de son entourage qui ne comprenait guère pourquoi cet adolescent dakarois trouvait du plaisir à écouter une sonate de Beethoven ou une improvisation de free jazz : d’ou pouvait bien lui venir ce goût étrange ?
De nulle part, sinon de lui même, de sa passion innée pour la musique, de la certitude précoce qu’il y consacrerait sa vie. Jamais il n’a cru en autre chose, même si rien ne l’y poussait. Il n’était pas un griot , il n’était pas destiné au métier de musicien par la tradition familiale, on voulait lui apprendre un métier d’artisan. Contre vents et marées il imposa sa vocation, enjamba les obstacles, vainquit les résistances. Aux bandes de copains, aux sorties en boîte, aux interminables palabres autour du thé, il préférait la solitude et le travail, les exercices, la création. Il parlait peu et chantait beaucoup, exerçait sa voix sans répit.
Alors, délaissant les voies plus conventionnelles qu’on lui proposait, il dirigea ses pas vers le Conservatoire (de Dakar), où il puisa des techniques et un savoir musical à la fois complémentaires et différents de ce que lui offraient la tradition sénégalaise et la rue dakaroise. Il s’initia aussi bien à certains instruments africains traditionnels qu’à la guitare classique occidentale, tout en découvrant les arcanes de la théorie musicale et des genres classiques européens.
Ainsi il se situait d’emblée au carrefour de deux formations, deux styles, deux cultures. Sa guitare devint un creuset où il chercha aussitôt à fondre ces deux matériaux si différents, si opposés que cela pouvait apparaître comme un inconcevable défi. La quête de Chérif était trop exigeante pour rester cloisonnée dans son monde d’origine, même s’il y a puisé des fondements solides, irremplaçables : une technique vocale inimitable très étroitement liée à la prosodie particulière du wolof, une grande richesse rythmique, une tradition culturelle.
Pour qui l’a connu dès ses débuts, l’évolution de son répertoire frappe par son souci d’enrichissement constant, d’ouverture à d’autres horizons, de sorte que si sa musique reste enracinée dans la terre sénégalaise, elle est aussi très différente de ce qui se fait à Dakar .
Mais au cœur de cette diversité règne une véritable cohérence, une union plus qu’une unité, une fusion sans confusion. C’est la grande force de Chérif Mbaw que de pouvoir embrasser dans un même élan de multiples univers. C’est la marque d’une qualité d’écoute, d’une ouverture à l’autre, mais aussi d’une forte personnalité, à l’image de sa voix, toujours prête au dialogue, facile d’abord, tout en second degré, travaillée l’air de rien, puissante sans forcer le ton. Son grain, son timbre, telle est sa force première ; mais elle n’atteindrait pas un tel pouvoir d’émotion sans l’intelligence de son travail.
Ainsi, ces deux albums (« Khan Khan » et « Demain ») sont ouverts sur le monde des esprits, et pour ne pas se perdre, perdre la tête dans ce vaste jeu musical, il suffit de se laisser guider par le maître de cérémonie, il suffit de suivre sa voix..