On trouve au Sénégal plusieurs cimetières où reposent ensemble musulmans et chrétiens, notamment à Dakar, Ziguinchor, Thiès et Fadiouth. Ils rappellent l’esprit de tolérance des Sénégalais et le respect des différentes croyances.
Une longue tradition à Fadiouth
À Joal-Fadiouth (sud-est de la Petite Côte), ville natale de l’ancien président Léopold Sédar Senghor, le cimetière mixte érigé sur une île de coquillages témoigne d’une longue tradition d’intégration entre les populations. Bien que le manque d’espace dans cette commune côtière puisse, entre autres, expliquer la mixité, c’est surtout l’héritage d’un vivre en commun entre musulmans et chrétiens qui perdure depuis des générations.
« Le cimetière est divisé en deux parties : une partie musulmane et une partie chrétienne. Cela a toujours existé. Avant, on enterrait tout le monde ensemble. Dans presque toutes les familles, il y a des musulmans et des chrétiens. Nous sommes tous parents. ». Ce témoignage, prononcé de Hyacinthe Ndiaye, alias Manga 2, ancien lutteur et roi des arènes, originaire de Joal-Fadiouth, illustre parfaitement la fraternité qui règne au sein de ce lieu atypique.
Le cimetière de Fadiouth à 360 °
À Ziguinchor « Ici, on vit autrement »
Au sud du Sénégal, le fameux cimetière mixte de Santhiaba, édifié entre 1910 et 1915 dans la région de Ziguinchor, constitue un autre exemple significatif. Ce lieu de sépulture abrite notamment la tombe du célèbre footballeur international Jules-François Bocandé, ainsi que celle de Jules-Charles Bernard, premier maire de Ziguinchor (1956-1966). On y retrouve également des noms libanais, syriens et créoles-portugais, témoignant de la richesse historique et de la diversité culturelle de la région.
« Ici, on vit autrement », confie David Ndiaye, résident du quartier cosmopolite de Santhiaba, créé par l’érudit musulman Chérif Younouss Aïdara. « Dans cette localité, de nombreuses familles sont composées de musulmans et de chrétiens qui vivent sous le même toit familial, en parfaite harmonie, en respectant les convictions de chacun. Ce que nous expérimentons va bien au-delà d’un simple dialogue islamo-chrétien. Nous partageons véritablement nos vies, que ce soit lors des fêtes de Pâques, de Tabaski, de Noël ou de Korité… »

Un symbole de coexistence à Dakar
Dans la capitale sénégalaise, le cimetière chrétien de Bel-Air représente également un symbole fort de cette coexistence entre musulmans et chrétiens. C’est dans ce lieu que repose Léopold Sédar Senghor, premier chef d’État sénégalais et chrétien de surcroît. On y trouve également la tombe du Franco-Sénégalais André Peytavin, ancien ministre des Finances du Sénégal, ainsi que celles de plusieurs dignitaires musulmans, dont l’imam Thierno Seydou Deme.
Dans la banlieue dakaroise, à Guédiawaye, un nouveau cimetière mixte, qui s’étend sur plus de 13 hectares, doit être inauguré. L’espace est divisé entre une section musulmane et une autre pour less chrétiens. La pose de la première pierre a eu lieu en décembre 2013, tandis que la cérémonie de lancement des travaux ne s’est tenue que le 11 avril 2018. À travers ce projet, L’État du Sénégal a ainsi exprimé sa volonté d’offrir des infrastructures modernes via cet espace de recueillement. Chaque section bénéficiera de services tels qu’un parking, un local pour gardien, des bureaux d’archives et même la construction d’une mosquée et d’une église.
Même dans des zones plus rurales, comme le quartier de Silmang dans la région de Thiès, l’existence de cimetières mixtes témoigne d’un vivre ensemble ancien, bien avant l’arrivée des grandes religions. La tradition de célébrer ensemble les moments marquants de la vie des croyants reste profondément ancrée dans ces communautés, où la mixité n’est pas perçue comme une exception, mais comme une continuité naturelle du tissu social.
Le regard différent des conservateurs
Cependant, l’implantation des cimetières mixtes ne fait pas l’unanimité. Certaines jurisprudences, comme celle émise par l’Union mondiale des savants musulmans, soutiennent que, dans un contexte multiculturel, ces sépultures favorisent la coexistence et le respect mutuel. D’autres érudits musulmans plus conservateurs, notamment issus des écoles malikite ou hanbalite, estiment qu’il convient de respecter strictement les rites funéraires islamiques en réservant des cimetières aux musulmans, afin de préserver leurs croyances et d’honorer correctement les défunts.
Généralement, l’islam interdit l’enterrement des musulmans dans des cimetières non musulmans. Toutefois, en cas de nécessité, cette règle peut connaître des exceptions. En effet, certains fatwas (avis juridiques) soutiennent que, dans des contextes multiculturels, ces cimetières mixtes peuvent favoriser la coexistence et le respect mutuel entre les religions. C’est le cas, par exemple, au Liban (Beyrouth), au Royaume-Uni (Newham Cemetery), aux États-Unis (cimetière Mount Pleasant de Toronto) et en Turquie (Eyüp Sultan), où les sépultures sont séparées par des allées ou des sections distinctes.
Au-delà de leur fonction première, les cimetières mixtes du Sénégal incarnent une leçon de tolérance qui pourrait inspirer d’autres nations en proie aux conflits interreligieux ou ethniques. À ce propos, le témoignage de l’Abbé Jacques Seck résonne encore comme une invitation à préserver cette unité. « À Palmarin, où je suis né, le cimetière est commun. À Fadiouth, où j’ai été vicaire, le cimetière est mixte aussi. […] Je suis né dans le dialogue, car mon père était un chrétien converti à l’islam et ma mère est chrétienne. Ma sœur était l’épouse du premier imam de mon village (Palmarin) », déclarait l’Abbé Jacques Seck, réputé pour sa maîtrise des écritures du Saint Coran.