Hommage à Joe Ouakam

« Paa bi », Evénement hommage à Joe Ouakam dirigé par Wasis Diop, dans la cour de Joe Ouakam, au Plateau à Dakar.

Publié le 10 mai 2010   5 commentaires

« … Il faut acclimater tes émotions….. Reviens à toi en douceur… » Voilà ce que l’on peut lire sur l’une des nombreuses « tablettes » de l’installation de Jo Ouakam, Jo Raman Jelissa Samb, au 17 de la rue Jules Ferry, angle Mohamed V, comme on dit par ici, sur le Plateau de Dakar, au Sénégal, en ce mois de février 2010.

Le jardin du 17 rue Jules Ferry, « la cour », comme disent certains, est un haut lieu, depuis quatre décennies, de l’art contemporain international. Les facéties de l’Histoire font qu’on n’y accorde pas l’attention qu’elle mérite.

Comment imaginer, en effet, que se déroule là, au fond d’une petite allée, une geste plastique d’envergure planétaire, puisque les concitoyens même d’Issa, au-delà de la déférence et du respect – mitigé – qu’ils lui témoignent pour leur plus grande part, ne peuvent imaginer que ce « fatras » pourrait faire effet d’œuvre d’art.

Tout le monde n’apprécie pas ces travaux qui consistent à s’exprimer au travers d’installations, où le pouvoir scénique, la dimension théâtrale ne sont pas absents. Comme Jo Ouakam est aussi un comédien, il aime la scène, le plateau, les entrées et les sorties, la mise en place d’un décor où pourraient évoluer quelques personnages « en quête d’auteur ».

Pourtant Olivier Céna, critique bien connu de Télérama, s’y était arrêté il y a plus de vingt ans, comme il suffit d’entrebâiller les filets de la Toile pour y trouver, sur notre ami, critiques, regards, articles si nombreux qui tous disent que les artistes, eux, s’émeuvent, ô combien, du travail de leur pair.

Le travail d’Issa est secret. C’est sans doute pour cela qu’il ne figure pas aux cimaises connues. Il est secret dans sa genèse même, dans son émergence, sa mise en œuvre.

Il relève, pour une grande part, d’une attitude « chamanique », ou « alchimique », comme on préférera, au sens où Issa intervient sur la matière, dans le temps, sur un long temps. Il transforme, transmute. Le mot est lâché ; il est lourd de sens : la transmutation !

Le mystère du jardin d’Issa

Pour qui observait, en 1980, 1990, 2000, le jardin d’Issa, avec ou sans lui présent dans les lieux, en s’y glissant silencieux, tout demeurait mystère de ces amas dont l’artiste lui-même semblait bouder l’existence.

Tout sommeillait depuis tant d’années, semblait n’être qu’amas de bois, de ferrailles, de détritus, de chutes, de poubelles ; ce n’était qu’énigmatiques accumulations au milieu desquelles nous le trouvions, immobile, assis, fumant sa pipe, écoutant imperturbable, sur de petits transistors désuets, les nouvelles du monde.

Combien d’entre nous ne se sont-ils pas interrogés, circonspects : « Mais que fait-il, et pourquoi ? Où va-t-il ainsi ? A quoi cela sert-il ? Qu’est-ce que tout cela ? ».

Jusqu’aux inquiétudes finales : « Cela n’a pas de sens ! ».

Nous étions impatients ; nous avions tort. Car la réponse aujourd’hui est là, dans l’épanouissement de tout ce travail en une gigantesque installation, aux dimensions hallucinatoires. C’est sublime et TOTAL, au sens où Antonin, Artaud bien entendu, l’entendait, lui dont la voix éraillée s’inclinerait sans peine aux chemins de notre homme.

Poussière, poussière d’abord, poussière volontaire qu’Issa, qui est un Titan, pourrait bien entendu balayer d’un revers de plume, poussière de la nuit de ces temps anciens dont Issa a si fortement la mémoire.

Poussière qui enveloppe, entoure, protège, où tout « prend sens », comme l’écrit souvent la critique contemporaine, ce sens « caché », sibyllin, qui s’insinue dans les interstices minéraux, végétaux de la cour investie dans ses moindres recoins.

La « prise de sens » se coulant dans la « prise de formes », tout est à sa juste place pour l’apothéose visuelle, colorée, fantomatique, emblématique, symbolique, commémorative dont la cour se fait l’écrin.
Il n’y a plus aucune ambiguïté possible entre les différentes instances du jardin.

Parce qu’Issa a investi aussi l’espace central, au pied de l’arbre tutélaire, d’un réseau fascinant de fils où trébuchent de multiples signes.
Parce que les différentes « niches » de ce qui fut, un temps très court, un restaurant (?), sont habitées, chacune à leur façon, d’une approche spécifique de la matière.

Les autels dérisoires qu’embrasse la poussière, les lambeaux d’existences qui se tendent, les végétaux séchés qu’enduisent les résidus d’un quelconque bûcher, les traces de repas d’une table bancale, les accumulations de livres, les bibliothèques enfouies, oubliées, les signes d’amitiés que déchirent l’absence, les sourires perdus crispés dans le dérisoire de l’argentique, Djibril Diop Mambéty, l’ami à jamais, Khalidou Sy, le doux sourire enfui, Saïdou Barry, le copain de toujours, tant d’autres qui oscillent aux fils tendus par la gravité, les reliques d’installations anciennes, Pléhanov, 4, 6, les crèches de bois fané, les statuaires défoncées, engagées dans les abîmes de l’oubli, les toiles délabrées qu’ont arrosées tant de plus d’hivernage  , les clous rouillés par l’amertume, les couronnes d’épines plantées près de la table basse où délicatement s’inscrivent les messages.

Chaque « stèle « de la cour est comme une icône maculée de déchets, déchue dans son adoration, entravée dans son élévation vers un requiem muet.

Entrer dans le jardin, à la veille de l’équinoxe de printemps, est un voyage étrange qui rompt brutalement avec le capharnaüm, le tumulte, le vacarme de la rue. Poussée « la porte étroite qui chancelle », c’est le silence d’une respiration suspendue qui s’impose. La déambulation, seulement interrompue du crissement strident des feuilles qui s’écrasent sous les semelles pourtant prudentes, ressemble fort à cette prière murmurée en dévidant un chapelet visionnaire devant chaque station d’un chemin de croix qui n’en finit pas de suinter aux parois délabrées.

Si Christian Boltanski demanda à ce que la Coupole du Grand Palais de Paris ne soit pas chauffée pour y faire battre des cœurs au milieu des amas de fripes, il faut savoir qu’au même moment, dans cette simultanéité si souvent troublante des travaux artistiques, Issa, lui, ne demanda rien, même pas de « passer ».

C’est à nous d’honorer son espace ; c’est à nous de nous incliner devant ce travail de mémoire, dont tous les dakarois de plus de, disons, 20 ans, se devraient de connaître les sources.

C’est à nous de baisser les yeux sur tant de modestie, d’humilité, d’endurance, de force, de courage, de fermeté à transcender les souffrances, les déchirures, les désespoirs.

Il est impossible de prendre la fulgurante installation de Joe Ouakam à la légère. Il y a trop longtemps que trop nombreux sont ceux qui doutent du talent de notre homme, fustigent ses débordements, qui font partie intégrante de son œuvre, lui reprochent trop d’élégance ou de partis pris.
Finalement, dans la ville où j’écris aujourd’hui, beaucoup disent cela aussi de Benjamin Vautier, Ben.

S’ils se connaissaient, ces deux-là, et peut-être se rencontrent-ils dans quelque voyage en astral dont l’homme du jardin dakarois a le secret, sans doute ils s’apprécieraient. Mais Ben serait jaloux, certainement, d’une telle persistance à creuser les sillons des grimoires, à froisser des parchemins déjà usés et surtout de cette phénoménale capacité à rester seul, depuis tant d’années, seul, bien que très entouré, mais seul pour l’éternité.

Le parcours de la cour n’est pas gai, loin s’en faut. On en sort, si l’on arrive encore à rejoindre le trottoir turbulent, troublé, agité, perturbé, déstabilisé. Alors, pour seul bréviaire à apaiser le cœur et l’esprit basculés, reviennent au bord des lèvres sèches, contusionnées par cette descente aux Enfers que l’excellente et ancestrale culture de notre ami ne peut que vouloir mythologiques, reviennent donc les paroles de l’Ecclésiaste, bien évidemment : « … Vanité des vanités, tout n’est que vanité… ».

Spécial Biennale

Texte et photos de Sylvette Maurin. Critique en arts visuels. Nice. France. Mars 2010. sambissa hotmail.com

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Lire 5 commentaires

  • Sénégal

    Avec tout le respect que je voue à Joe Wakam, son art devient ennuyeux un four-tout indescriptible, un souc de camoufflage du vide existentiel.Peut-être j’ai tors, son art est à l’image de la déconfiture de l’Afrique.J’aime la personnalité je n’aime pas son art.

    • Sénégal

      Il vous revient le droit le plus absolu de critiquer positivement ou non un art. Dailleurs, c’est le postulat de toute la subjectivité et l’intérêt de l’existence de l’art en soi. Néanmoins, je vous suggère d’aller au delà de vos préjugés car la comparaison de l’art de Joe aux maux de l’Afrique révèle et trahit, devrais-je dire, votre manque de recul et de clairvoyance.
      « En effet, c’est un gâchis de montrer de l’or à un pourceau » l’Art n’est jamais moche, c’est un moyen d’expression qu’on comprend ou non, aimer ou ne pas aimer c’en est un autre. l’Afrique n’est pas un chaos, l’Afrique est entrain de se faire, elle se reconstruit. Elle était, elle est, elle sera. Les peuples se reconstruisent perpétuellement.
      L’Art de joe est juste insaisissable pour vous et autres, non initiés, superficiels et imbus. Mais pour moi, quand on prétend connaitre et apprécier le personnage, on ne peut pas ne pas aimer son art. Joe : c’est de l’art ;

    • Sénégal

      L’Afrique se reconstruira quand
      elle se reprendra en main( scolarisation,santé, industries,
      ressources naturelles démocratie)
      L’Afrique peut le faire ;)
      j..Ouskan semble etre un homme délicieux.

    • Sénégal

      même pas vrai !!!!!!!!!!!!!!!poof !

    • Sénégal

      Joe was a fraud.his« art » est useless and false.

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