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Hommage à Sembène Ousmane, militant jusqu’au bout de la cause africaine

Une flopée d’hommages a suivi la disparition, le 9 juin à Dakar à l’âge de 84 ans, de Sembene Ousmane, écrivain et cinéaste de talent, homme de refus, qui restera dans l’histoire comme un intellectuel engagé et préoccupé par le devenir de son peuple.

Publié le 25 juin 2007  

Sembene Ousmane a mené les combats essentiels de son temps, pour la justice, la liberté et la dignité des peuples africains. Pour lui, ’’il y a des combats que l’on mène pas à pas, jour après jour’’. Il ne parlait pas beaucoup, préférant l’action. Ecrivains, universitaires, cinéastes, artistes, hommes politiques, autorités administratives, religieuses et coutumières, parmi d’autres, ont porté des témoignages sur la vie et l’œuvre de Sembene Ousmane, un homme dont le nom a fini par se confondre avec l’histoire du 7ème Art africain et qui repose désormais au cimetière de Yoff. Témoin infatigable de son temps et animé du souci de marquer les esprits à travers ses œuvres, il a ’’pleinement rempli son devoir d’homme vis-à-vis de son peuple’’, selon l’écrivain Boubacar Boris Diop qui considérait Sembene comme un ’’porte drapeau’’ pour sa génération.

Libre, Sembene l’a été jusqu’au bout. ’’Je ne me mettrai jamais à genoux’’, disait-il en 2003 dans un reportage du journaliste burkinabé Yacouba Traoré. J’ai un travail que j’aime et personne ne m’a demandé de le faire. Je veux parler avec mon peuple et cela je ne peux pas le faire en cachette.’’ Sa liberté était dans ce choix de faire du cinéma son métier pour ’’parler à (son) peuple’’, et dans ses œuvres littéraires comme cinématographiques.

Sembene Ousmane est né le 1er janvier 1923 à Ziguinchor. Très tôt, il est confié à un de ses oncles, instituteur. Mais il ne fera pas d’études. A 13 ans, en 1937, en pleine époque coloniale, il gifle le directeur de son école qui voulait lui apprendre le corse. Il est renvoyé et doit se débrouiller pour survivre. Il devient pêcheur, fait un peu de mécanique et de maçonnerie pour finir militaire. Mobilisé dans l’armée coloniale en 1942, il est envoyé au Niger, au Tchad, en Afrique du Nord, puis en Allemagne.

Démobilisé, il participe en 1947 à la grève des cheminots, la première en Afrique, dont il tire un de ses premiers romans : ’’Les bouts de bois de Dieu’’, publié en 1960. En 1948, Sembene a 25 ans. Sans travail et pratiquement sans instruction, il décide de partir en France. Il s’embarque clandestinement dans un bateau pour Marseille. Il s’instruit, milite au Parti communiste français en 1950, puis à la Confédération générale des travailleurs (Cgt). La France est alors en guerre avec le Vietnam. Avec ses collègues, il bloque le port de Marseille pendant trois mois pour empêcher l’embarquement d’armes destinées à l’Indochine.

Amath Dansokho, secrétaire général du Parti de l’indépendance et du travail (Pit), qui a connu Sembene Ousmane à cette période-là, parle d’un ’’grand homme, très courageux, travailleur infatigable’’. ’’Je l’ai connu à Marseille en 1959, depuis il a adhéré à notre parti qu’il n’a jamais quitté’’, témoigne Dansokho qui a salué ’’l’obstination avec laquelle il faisait ses œuvres, souvent avec de faibles moyens’’.

En France, Sembene a été responsable syndical. Il se met à écrire après avoir rencontré des écrivains de passage à Paris pour le premier Congrès des écrivains et artistes noirs. Il se lance dans le roman et publie ’’Le docker noir’’ (1956), ’’Ô pays, mon beau peuple’’ (1957), ’’Voltaïque’’ (1962), ’’L’Harmattan’’ (1964), ’’Le Mandat’’ (1965), ’’Xala’’ (1973), ’’Le Dernier de l’Empire’’ (1981), ’’Niiwam’’, suivi de ’’Taaw’’ (1987). Conscient qu’il était de la portée limitée des livres dans une Afrique encore en proie à l’analphabétisme, Sembene commence aussi à s’intéresser au cinéma, avec en filigrane la recherche d’une démarche plus grand public, ’’politique, polémique et populaire’’. A 38 ans, il monte à Paris avec l’idée de s’inscrire dans une école de cinéma. Mais c’est à Moscou, au studio Gorki qu’il apprend à tenir une caméra. De retour au Sénégal, il s’immerge dans les quartiers populaires, organise des projections aux prisonniers, parle de culture aux enfants. En 1963, il réalise son premier court métrage : ’’Borom Sarrett’’ qui dépeint la journée d’un transporteur. La même année, il réalise le documentaire ’’L’Empire Songhay’’. En 1964, il réalise son deuxième court métrage, ’’Niaye’’, primé l’année suivante au Festival de Locarno. Ce film raconte l’histoire d’un chef de village qui a fait un enfant à la fille du griot  .

Pour Sembene Ousmane, le cinéma doit devenir ’’le cours du soir du public africain’’. Il se lance dans son premier long - en réalité un moyen métrage - ’’La Noire de...’’ (1966) qui est l’histoire d’une jeune Sénégalaise que ses patrons blancs amènent avec eux en France. La jeune fille ne supporte pas les humiliations, le paternalisme, l’exil. Elle se suicide, préférant la mort à l’esclavage. Ce film obtient le Prix Jean Vigo, le ’’Tanit d’or’’ aux Journées cinématographiques de Carthage (1966), le prix de meilleur réalisateur africain au Festival mondial des Arts nègres tenu la même année à Dakar.

Pour El Hadji Samba Sarr, jeune cinéaste, Sembene avait ’’un point de vue particulier’’. ’’C’était quelqu’un de très engagé. Il avait compris que le cinéma pouvait être un vecteur fort de conscientisation des masses’’, souligne le jeune réalisateur ajoutant qu’ailleurs dans le monde, les organisateurs de festivals et les responsables d’écoles de cinéma voyaient en ses œuvres des ’’classiques’’ du cinéma africain. Sembene Ousmane réalise ’’Le Mandat’’, son deuxième long métrage en 1968. Il y offre une saisissante peinture de la société sénégalaise postindépendance, où le peuple est exploité par des Noirs dit ’’modernes’’.

Il se penche en 1971 sur la seconde Guerre mondiale qu’il a lui-même vécue, en réalisant ’’Emitaï’’. Une partie des hommes d’un village diola de Casamance a été enrôlée de force pour se battre dans l’armée française. Ce sont les femmes qui récoltent le riz, dont le colonel de l’armée coloniale qui veut prélever la plus grande partie va se heurter à la résistance. Trois ans après ce film, il se remet en 1974 à la description de la nouvelle société moderne sénégalaise amorcée avec ’’Le Mandat’’. ’’Xala’’ est un réquisitoire contre l’attitude d’une bourgeoisie noire devenue, à la suite des Blancs, corrompue, arrogante et sans scrupules.

En 1977, Sembene réalise ’’Ceddo’’. Ce film porte sur la résistance d’une communauté africaine à l’avancée de l’islam au 17ème siècle. ’’On peut faire autre chose que de regarder vers l’Arabie Saoudite ou vers l’Occident. On peut regarder vers l’intérieur de l’Afrique, sa culture, sa spiritualité’’, commente alors le cinéaste. Ce film est interdit au Sénégal par le président Léopold Sédar Senghor qui estimait qu’il y avait une ’’faute’’ d’orthographe dans la transcription du titre (un seul ’’d’’ au lieu de deux dans la transcription du mot). Toujours sur la brèche et aussi jeune dans les idées qu’à ses débuts, ’’l’aîné des anciens’’ comme il aimait à se faire appeler, évoque de nouveau la seconde Guerre mondiale en réalisant en 1988, avec son ami Thierno Faty Sow, ’’Camp de Thiaroye’’. Sembene s’indigne de l’injustice faite aux tirailleurs qui, après avoir libéré la France de l’occupation allemande, sont démobilisés, sans reconnaissance du service rendu à la ’’Mère patrie’’. Pour cela, le film n’est pas autorisé à Cannes. Mais il reçoit le prix spécial du jury au Festival de Venise en Italie. Dans ’’Guelwaar’’ (1992), où le rôle principal est tenu par Thierno Ndiaye Doss, il dénonce l’aide internationale qui est pour lui une manière subtile d’exploiter les richesses des pays du Sud par les pays occidentaux.

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Le cinéaste se lance, à la fin des années 90, dans la réalisation d’une trilogie sur ce qu’il appelait ’’l’héroïsme au quotidien’’. ’’Faat Kiné’’ (2000), le premier de la série est l’histoire d’une femme qui gère seule sa famille. Le deuxième, ’’Moolaadé’’, aborde le thème de l’excision. Le troisième, ’’La Confrérie des Rats’’, portant sur l’assassinat d’un juge, était en préparation. ’’Moolaadé’’ a reçu le prix du meilleur film étranger décerné par la critique américaine, le prix Un Certain Regard à Cannes, le prix spécial du jury au Festival international de Marrakech. Sembene avait aussi reçu le prix Harvard Film Archive décerné par l’Université Harvard de Boston en 2001.

Il s’éteint sans avoir réalisé le projet de sa vie, le film ’’Samory’’, pour rendre hommage au résistant à la pénétration coloniale. Mais il a dit un jour : ’’si je ne fais pas ’Samory’, d’autres le feront’’. Pour lui, la recherche de solutions aux souffrances de son peuple était hautement plus importante que la réalisation de ce film. ’’C’est à nous de créer nos valeurs, de les reconnaître, de les transporter à travers le monde, mais nous sommes notre propre soleil’’, disait Sembene en réponse à une question sur la faible représentation du cinéma africain au Festival de Cannes. Fidèle jusqu’au bout à la cause africaine.

Ne serait-ce que pour sa vision du cinéma qui doit selon lui être le cours du soir des populations africaines, il méritait le respect, note Amadou Thior, cinéaste. Son collègue Moussa Touré, réalisateur de ’’TGV’’, a salué la ’’contribution majeure’’ de Sembene, convaincu qu’en se retournant sur son œuvre, les cinéastes devraient retenir ’’beaucoup de leçons’’. Lors de la levée du corps du doyen des cinéastes africains, Baba Hama, délégué général du Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou (Fespaco) dont Sembene est co-fondateur, a dit devant la dépouille du cinéaste : ’’tu n’es pas mort ...’’.

Le chanteur Youssou Ndour considère, pour sa part que ’’la lune du cinéma africain a disparu et seules restent les étoiles’’, tandis que le président de l’Association des cinéastes sénégalais, Cheikh Ngaïdo Bâ, disait : Il a été ’’notre maître à nous tous’’.

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Bocar Aw - Photo : www.kamikazz-photo.com

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