Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) n’a fait qu’un rappel en répétant l’interdiction de publicité pour les produits éclaircissants dans les médias, en les mettant, une fois de plus, face à leur responsabilité.
Une aliénation culturelle ?
Avec le grand vent de retour aux sources qui souffle sur de nombreuses sociétés africaines et de la diaspora ces dernières années, beaucoup de pratiques très usitées sur le continent et au sein des communautés afro comme le défrisage des cheveux ou a dépigmentation artificielle sont décriés par une certaine jeunesse qui revendique fièrement une identité « trop longtemps bafouée ».
De nombreux mouvements sont nés, renforcés par les réseaux sociaux et véhiculant des messages sensés éveiller la conscience de la jeunesse sur l’importance de conserver ses valeurs, surtout celles liées à la couleur de peau. Pour nombre des défenseurs ou adhérents à ces mouvements, la dépigmentation fait en effet partie de cette catégorie de pratiques découlant du vieux complexe d’infériorité que les populations africaines ont développé vis-à-vis de la peau blanche, après des siècles de domination. Mais ces références historiques expliquent-elles tout à fait ce phénomène ?
Un indicateur socio-économique plutôt ?
Dans beaucoup de sociétés africaines (et pas seulement), la couleur de la peau est souvent l’objet de débats, de comparaisons ; tantôt critère de beauté, tantôt sujet de moquerie, tantôt indicateur ethnique, tantôt sujet de rejet social. On peut désigner ce fait par le concept américain de « colorism ». Il s’agirait, d’après Pap N’diaye (historien français spécialiste des États-Unis), d’une perception sociale que l’on se fait d’un individu et qui est liée, consciemment ou non, aux nuances de sa couleur de peau.
Transposé dans le contexte africain, ce concept n’a évidemment pas les même fondements, mais n’en reste pas moins réel, dans la société sénégalaise par exemple. « Danga xess temps yi dé, yangui nôss kone » (Ton teint est éclatant ces derniers temps, cela veut dire que tu vas bien), « Temps yi nùl nga di ! lou la dal ? » (Tu es bien noir ces derniers temps ! tout va bien ?), sont des phrases en bon wolof qu’un individu peut vous adresser le plus tranquillement du monde pour s’enquérir de votre état de santé ou de vos affaires. Il en va de même pour la vie de couple, les finances etc.
Avoir la peau clair est souvent assimilé à un bien être quelconque, que l’on peut afficher fièrement. Plus qu’un désir d’assimilation, au Sénégal, le xessal (dépigmentation artificielle) serait surtout un indicateur socio-économique d’un genre…particulier !

Le rôle des médias
Cet état de fait est facilement observable dans les médias. Les stars montantes de la musique, de l’animation ou des séries télévisées sont souvent méconnaissables après quelques années sous le feu des projecteurs. Tout porterait à croire que se montrer dans son prochain clip ou lors de sa prochaine émission télévisée la peau bien éclaircie est une manière de dire au monde « Me voici, j’ai réussi, comme en témoigne mon teint, je ne manque plus de rien ».
Et même si cela semble s’atténuer ces dernières années, cet imaginaire populaire pousse de nombreux médias à mettre en avant des animatrices à la peau claire pour présenter leurs programmes phare. Idem pour les agences de communication, qui font beaucoup appel à des femmes à la peau claire pour illustrer leurs spots publicitaires. Les médias se trouvent encore être les véhicules préférés des annonceurs pour faire la promotion de leurs produits dépigmentant aux promesses affriolantes, destinées à une clientèle prête à tout pour se montrer sous son meilleur jour.
Pourtant, ces médias sont tous censés s’être engagé au respect de la loi, notamment au Code de la presse qui, selon l’article 112 numéro 2017-27 du 13 juillet 2017, déclare interdite la diffusion de messages publicitaires relatifs à la promotion […] des produits cosmétiques de dépigmentation. On comprend qu’au vu du nom respect criard de cette interdiction, le CNRA ait jugé utile de faire une piqûre de rappel publique, surtout maintenant que l’on connaît les effets désastreux des produits en question sur la santé.
Un problème de santé publique
Car oui, les produits dépigmentant sont un véritable danger pour la santé publique, les produits qui les composent variant entre corticoïdes, hydroquinone et résidus mercuriels étant tous potentiellement toxiques. Outre les nombreuses complications dermatologiques observables chez les utilisatrices de ces produits, on soupçonne aussi ces derniers d’être à l’origine de nombreuses affections médicales telles que l’hypertension artérielle ou le diabète.
On comprend l’inquiétude du docteur Fatimata Ly, dermatologue-vénérologue, présidente de l’Association internationale d’information sur la dépigmentation artificielle (AIIDA). Selon elle, un quart des patientes présentant un cancer lié à la dépigmentation finissent par décéder.
Des chiffres alarmants, qui laissent à penser que de grosses mesures doivent être prises contre ce phénomène, d’autant plus qu’aujourd’hui des commerçantes sans aucune accréditations ou certifications, fabriquent et vendent des mélanges dépigmentant, notamment sur Internet, où le CNRA n’exerce aucun contrôle.
6 décembre 2019 à 17:01, par Vanesa
Article très intéressant.
C’est vraiment triste qu’à l’heure actuelle il faut encore sensibiliser sur ce sujet. La société doit prendre conscience du danger de la dépigmentation. Ce serait intéressant d’éduquer dès le bas âge la prochaine génération sur ce phénomène.
10 décembre 2019 à 10:40, par Marième
En effet, je pense vraiment que c’est une question d’éducation et d’identification. Contrairement à ce que beaucoup croit, l’estime de soi, ce n’est pas inné, cela s’acquiert au cours de l’enfance. Ceci étant, il ne serait pas superflu d’apprendre très tôt aux jeunes enfants, au fillettes particulièrement, à aimer leur corps sous tous ses aspects, en dépit de ce que les autres peuvent en penser.
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