Photo de Serigne Touba : le point de vue d’un spécialiste

Une découverte récente, en France, d’une série de « photographies authentiques » de Serigne Touba, fait parler au Sénégal, pays qui a longtemps marginalisé l’image photographique. Voici l’analyse de cette figure par Mamadou Gomis, photographe et chercheur.

Publié le 22 mai 2020   2 commentaires

L’une des figures les plus importantes de l’Islam au Sénégal, en sa qualité de fondateur de la confrérie des Mourides, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké dit Khadimou al-Rassoul ou Serigne Touba, a déjà été photographié. Il était âgé de 42 ans, environ. Son visage est très connu dans le monde, particulièrement en Afrique, à travers une photographie, un portrait réalisé en 1895.

Une découverte récente, en France, d’une série de « photographies authentiques » de Serigne Touba, fait parler au Sénégal, pays qui a longtemps marginalisé l’image photographique. Les colons par contre, ont considérablement utilisé la photographie dans leurs récits de voyage sur le continent africain. Le fondateur du Mouridisme n’a pas échappé à leurs prises de vue.

L’image photographique est une représentation révolutionnaire par rapport à l’image depuis son invention en 1839, officiellement en France. Elle continue de faire régulièrement parler d’elle. Elle n’est pas réelle. Mais, elle est une copie stricte ou radicale du réel. Bref, elle est la représentation visuelle d’une opinion, ou une vision personnelle sur un sujet, d’un évènement.

Décrire le visage d’un personnage à travers une photographie n’est pas du tout un exposé facile. Pour la première fois, et à la demande de beaucoup de gens, j’apporte mon expertise en analysant cette image attribuée à Serigne Touba.

L’image a été publiée sur un site internet lancé en 2000, appartenant à Sébastien Delcamp. Elle a été reprise sur les réseaux sociaux et par plusieurs médias en ligne. J’analyse l’image vue sur internet, parce qu’elle nous apprend forcement des choses.

Photo supposée représenter Cheikh Amadou Bamba

Mais attention, il est trop tôt, voir prématuré de s’exprimer, affirmant l’authenticité de l’image. D’abord, quel est le format de l’image originale ? L’image a-t-elle été modifiée, retravaillée ? Je peux confirmer avec mon expérience professionnelle de près de 30 ans que oui ! La marque de signature rouge sur la photo conforte ma thèse que l’image a été retravaillée. On ne peut signer une photo en concept sans pour autant passer par un logiciel. L’image prétendue a-t-elle été recadrée par rapport à l’origine ? Il sera beaucoup plus intéressant de détenir la photo originale, pour en dire plus, sur le type d’impression, le format, la nature du papier photo entre autres.

Ce que nous apprenons de cette « image » de Serigne Touba qui n’est pas le réel

Il s’agit d’une photo de groupe prise de jour. L’image est en noir et blanc. Au premier plan, on voit une scène où l’on observe sept personnes de taille moyenne debout, tous vêtus de tenues africaines, et un officier européen, à droite de l’image, portant sa tenue blanche, son bonnet blanc et ses bottes noires. Ce qui prouve qu’il s’agit d’un officier français de l’époque coloniale. Il ne prête pas beaucoup attention à l’appareil photo. Son dossier entre ses mains laisse penser qu’il savait lire ou du moins donnait une importance à l’écriture, à son dossier.

La figure principale sur la photo (attribuée à Serigne Touba) porte des chaussures traditionnelles africaines, les mains dans le dos, et est habillée en grand boubou blanc à manches longues, un bonnet, et un foulard couvrant presque son visage qui fait face à l’appareil photo. Son regard qui se dirige vers l’officier français semble attendre quelque chose.

L’interprétation de l’auteur de l’image est certes attachée à un contexte politique ou culturel. On peut supposer qu’il s’agit donc d’une photographie d’évènement, sur un sujet politique ou culturel où on peut identifier le contexte officiel grâce à la présence de l’officier français. L’image est en plan moyen qui s’intéresse beaucoup moins au décor, et plus aux personnes. Elle a son propre langage, avec ses propres codes, et plusieurs fonctions : communiquer, convaincre, conduire, critiquer, révéler, tromper, examiner, persuader, séduire, éblouir, etc.

Au second plan, des personnages pieds nus entourent presque la figure principale, et l’un d’eux, est à une courte distance d’elle. Il sépare sur la photo, la figure principale et le personnage européen. À l’arrière-plan, on peut observer le visage d’un jeune homme qui laisse penser à sa curiosité et une maison moderne beaucoup moins visible derrière lui qui se trouve à l’arrière de la figure principale. Bref, il s’agit d’une photo claire et expressionniste dont l’angle de prise de vue accorde à l’image particularité et force. L’image dégage une impression de solennité et de gravité : les silhouettes sont raisonnablement droites et relativement attirantes. Certains personnages sont visiblement plongés dans une instruction de travail d’importance tandis que d’autres laissent penser à leur curiosité.

On peut aussi supposer que cette photo renseigne sur une cérémonie religieuse. L’ambiance cordiale et la luminosité modérée indiquent plutôt que la photo a été prise dans une période où il y avait assez de soleil. Le contraste de la lumière illustre assez bien la nécessaire sagesse que requiert l’évènement. Ainsi, l’« Islam » est assez bien incarné par l’éclairage de l’image. Plus l’œil se dirige vers la figure principale, plus la lumière apparait. Ce qui peut laisser penser à la bienveillance.

Cheikh Ahmadou Bamba et la photographie

Né vers 1853, après l’invention de la photographie, Cheikh Ahmadou Bamba est un soufi sénégalais mort le 19 juillet 1927 à Diourbel, centre du pays. Son image visuelle connue, prise par un colon, ne peut passer inaperçue au pays. Bref, en 1918, l’année de la pose de la première pierre de la grande mosquée de Diourbel, s’il avait une personne qui détenait un appareil photo, il ne pouvait être qu’un colon. A cette époque, eux seuls possédaient l’outil photographique en Afrique.

Plusieurs archives démontrent que des photographies ont été réalisées par des colons français sur des Sénégalais. Des recherches académiques sur l’histoire de la photographie au Sénégal et en Afrique, par des chercheurs comme le journaliste-chercheur sénégalais Amadou Ba, confirment l’initiation des premiers photographes sénégalais à la photographie par les colons français.

Cependant, il est nécessaire pour le Sénégal de revérifier l’authenticité de toute photo de personnages historiques qui ont vécu au pays, de 1839 à 1960. Un travail de recherche qui devrait être beaucoup plus poussé sur certaines photos : format, nature du papier photo, date de prise de vue de ces personnages historiques. Demain, d’autres viendront dire : voici une photo authentique d’un tel dont personne n’a encore vu son image photographique.

Nous savons que seule la France, l’Europe, peuvent nous montrer des photos originales des personnages historiques de l’Afrique de l’Ouest, s’ils ont, bien sûr, été photographiés. La France de l’époque coloniale ne pourrait ignorer ou ne pas connaître nos personnages historiques, qui se sont battus contre elle pour préserver leur dignité, leur autonomie ou leurs croyances qui étaient en jeu.

Serigne Touba raconte dans ses écrits : « La seule science utile est celle que la personne a apprise et enseignée exclusivement pour l’amour de Dieu Très-Haut. Mais non celle apprise pour les disputes et controverses, ni pour la gloire, le prestige ou autres vanités. Non plus celle apprise pour des objectifs purement mondains, tels de l’amour de l’autorité et l’accession à de hautes charges. Ni celle apprise, ayant pour but d’attirer les cœurs en soi dans l’amour de ce bas-monde. »

Ps : Je voudrais signaler avec une attention particulière sur la série de photos prétendues où certains ont décrit un personnage européen comme un architecte. Sur la série d’images prétendues que nous avons personnellement analysé, il ya d’autres officiers français (quatre au moins) qui sont représentés à travers toutes les photos et non un qui serait un certain Jean Geoffre. Parmi eux, l’un attribué à M. Geoffre, plus ou moins visible, porte des souliers noirs et un autre, moins visible, des chaussures blanches.

Mamadou Gomis, photographe et chercheur, président de la Fédération africaine sur l’art photographique (FAAP). mamadougomis gmail.com.

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Lire 2 commentaires

  • Sénégal

    la photo devait etre distrubuer au senegalais la photo est belle

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