Poupées noires, cause noire

« Les poupées noires ont toujours existé au Sénégal. Nos grands-mères les confectionnaient parfois avec des boîtes de lait vides… ». Entretien avec Fabinta Lo, intellectuelle et artisane.

Publié le 21 décembre 2018   12 commentaires

Combattante au long cours, le parcours de Fabinta Lo a ce courage qui la pousse à bousculer l’ordre établi. La culture est le moyen qu’elle utilise afin de susciter la réflexion : quid de l’homme noir ? Quid de sa culture ?

Tenaillée par la question de l’identité réelle africaine et celle fantasmée, de la relation ou non relation de ce dernier à sa culture, aussi bien que par la perception - la plupart du temps erronée - de celle-ci par autrui et mue par le désir de visibilité de ladite Culture, elle combat.

Via son livre « Le coq chante » relatant divers pans de la culture sénégalaise, disponible en français et en italien. Via ses poupées de chiffon vendues avec une fiche relatant leur histoire. C’est depuis 2006 qu’elle creuse le sillon de la conscientisation et veut rendre visible la culture propre à l’homme noir.

Entretien

Écrivaine, ancienne prof d’espagnol, bénévole au service de l’émigration en Italie, fabricante de poupées noires, active militante quant à la conscientisation des Sénégalais par rapport à la richesse de leur culture et par extension, des Noirs par rapport à la culture africaine, qui êtes-vous Fabinta Lo ?

Je suis cette enseignante à la retraite que vous avez si bien décrite dans l’introduction.

Vous avez grandi entre différents pays d’Afrique, qu’apporte ce cosmopolitisme à votre vision de la vie ?

Je suis née au Mali. J’ai grandi au Burkina Faso et vers 13-14 ans je suis rentrée au Sénégal pour y continuer mes études.Chacun de ces pays a laissé en moi une empreinte, ce qui constitue une richesse culturelle dont je suis fière.

« Pour exemple, une de mes voisines se plaignait souvent de nos amis qui passaient nous voir sous prétexte que son fils avait peur de l’homme noir. »

C’est en Italie que vous avez commencé à fabriquer des poupées noires. Dans quel cadre était ce ? Y avez-vous constaté une méconnaissance la culture africaine en général ?

C’est en 2006 que j’ai commencé à fabriquer mes poupées en chiffons. La majorité des Italiens avaient une méconnaissance de la culture africaine en général et sénégalaise en particulier.Les poupées constituaient donc un excellent moyen pour expliquer certains éléments culturels de notre pays. Le ludique est souvent une voie royale pour éduquer en finesse autrui sans que ladite éducation ne soit perçue comme une corvée par le receveur.

En Italie - vous y avez vécu plus de 13 ans -, quelle est la chose la plus aberrante qu’il vous a été donné de vivre ou entendre quant aux a priori sur les Noirs ?

Vous savez, lorsque l’on ignore tout d’un pays, il est facile d’entendre certains propos choquants qui frisent, sont à la limite du racisme. Pour exemple, une de mes voisines se plaignait souvent de nos amis qui passaient nous voir sous prétexte que son fils avait peur de l’homme noir.

Est-ce à partir de ce moment qu’est né ce côté combatif et militant qui vous caractérise ?

Je pense que ce côté combatif est inné et l’émigration l’a forgé, car vivre tous les jours ou être au quotidien témoin des injustices ne peut pas vous laisser dans la passivité.

On vit dans un monde multi connecté où la connaissance est démocratisée pourtant les Africains sont pour la plupart, déconnectés de leur propre culture, s’en préoccupent peu, comment expliquer ce fait ?

Nous avons perdu nos repaires. Il est temps que nous retournions aux sources.Nous devrions rester nous mêmes au lieu de copier l’Occident sur tous les plans. Il y a de bonnes choses, des valeurs relevant de l’universel et du simple bon sens. Dans un monde en manque de repères, l’Afrique peut et doit apporter sa part d’expertise au lieu de n’être que consommatrice passive tel un nourrisson que l’on gave.

Pourquoi le choix des poupées pour parler culture ? Vous êtes professeure et pédagogue. Est-il plus aisé de faire passer un message par le ludique ?

Apprendre en s’amusant a plus d’impact à mon avis sur l’enfant. À travers la poupée Ndaté Yalla, reine du Waalo, l’enfant apprendra par exemple l’histoire de cette résistante sénégalaise face à la colonisation.

Quel lien entretenez-vous avec vos poupées ?

Bonne question. Mes poupées me tiennent tellement à cœur que je les garde soigneusement. Je n’aime pas trop les vendre. Même si je le fais tout de même. Je souhaite dans un proche avenir créer un musée de la poupée noire au Sénégal et en cela j’interpelle le ministère de la Culture afin que ce projet se réalise. Nous, Sénégalais, devons créer ce lieu pour porter plus haut notre culture et accueillir la culture noire en général.

Comment les poupées sont-elles accueillies en général ?

Il y a quand même des gens qui commencent à aimer nos poupées ; mais les étrangers sont ceux qui les achètent le plus.

J’ai lu le commentaire d’un homme disant qu’il ne voulait pas de poupées noires pour ses enfants « est-ce de la sorcellerie ou quoi  » ; « elles vont en faire des cauchemars », etc. Provenant d’un Africain, Sénégalais de surcroit donc une personne originaire de votre pays, cette bêtise pour ne pas dire autre chose ne vous décourage t-elle pas parfois ?

Pas du tout. Bien au contraire, il faut continuer à fabriquer les poupées et à les vulgariser.C’est le seul moyen de démontrer à ces égarés que si l’on veut éduquer, on ne doit pas céder au découragement.

Avez-vous une idée de l’origine de la poupée noire au Sénégal ? De quand datent-elles ? Leur but premier ?

Les poupées noires ont toujours existé au Sénégal. Nos grand-mères les confectionnaient parfois avec des boîtes de lait vides, maintenant même si elles sont bien plus jolies parce que mieux élaborées, le matériau utilisé est resté le même : les chutes de tissus.

Revenons à votre expérience de la vie en Italie. Que pouvez-vous nous dire de la vie de ceux que l’on appelle les « Baol-baol » en Italie et de la réalité qu’ils affichent sur les réseaux sociaux ? Réalité qui pousse ceux restés au Sénégal à partir par tous les moyens et au péril de leur vie ?

Les Modou Modou triment dur pour s’en sortir, cependant certains passent tout leur temps à étaler un soi disant standing de vie loin de la réalité ; conséquence : les jeunes au Sénégal pensent que l’immigration est leur seule voie de salut.

Au Sénégal, un peu trop souvent les gens se révèlent naïfs vis à vis de personnes venant d’ailleurs : Occident, Usa, etc. A quoi imputez-vous cette crédulité ? Pourquoi cet ailleurs perçu comme mythique et par contagion, ceux y vivant perçus comme des êtres au dessus de tout soupçon, quasi mythologiques ?

Ce n’est pas de la naïveté, loin de là. Mais puisque le Sénégalais est attiré par tout ce qui vient d’ailleurs, certains de ces individus très souvent mal intentionnés profitent de cet état de fait pour créer un faux mythe dans le but d’arnaquer. C’est nous qui devrons avoir l’œil vif et savoir séparer le bon grain de l’ivraie. La conscience de soi, de sa culture et de ses richesses, imite ce type d’aveuglement.

Pensez vous que les poupées puissent contribuer à une réelle autodétermination des Sénégalais et par extension des Africains ?

Bien sûr, mais cela requiert un travail de longue haleine. Si dès le bas âge on inculque à l’enfant les valeurs qu’incarnent les personnages des poupées comme Ndaté Yalla, Aline Sitoé et autres, on y arrivera. Cependant, ne soyons pas utopistes, encore une fois, ce ne sera pas pour demain, mais le travail doit être fait. Même s’il apparait comme une goutte d’eau dans la mer, il doit être fait.

On sait les adultes têtus pour en pas dire autre chose, le salut, ce souffle nouveau , cette renaissance africaine dont beaucoup se prévalent et dont peu portent réellement les sève, graine et fruits viendra t-elle des enfants finalement ?

Oui et comme le dit l’adage : « il est plus facile d’élever des enfants forts que de réparer des adultes brisés ».

Vous êtes à New York, il y fait froid, le Sénégal vous manque t-il ?

J’ai la nostalgie de mon pays, cependant je ne sens pas tellement le dépaysement car entourée de gens sympathiques qui ont rendu mon séjour agréable.

Que souhaitez-vous au Sénégal pour cette nouvelle année ?

Que l’élection présidentielle qui se profile à l’horizon se passe dans la paix. Que les invectives cessent.Nous n’avons pas le droit de montrer de mauvais exemples à nos enfants car ce sont eux les futurs leaders.

Une phrase en oulof qui sera votre adage pour 2019 ?
Jàam ak xeuweul. La paix et la prospérité

Contacts

Fabinta Lo
Téléphone : (00 )221 338351880
Facebook (Maison des poupées africaines).

Propos recueillis par Irène Idriss.

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Lire 12 commentaires

  • Bonjour, madame,
    Ou puis-je trouver à acheter vos poupées noires ?
    Cordialement.

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  • Bonjour Fabinta
    Je viens de lire l’article interview de Irene Idriss sur vous et votre parcours et j’ai été ravie de decouvrir d’autres poupées que les traditionnelles poupées sénégalaises pour touristes.
    Bravo de penser à un musée de poupées qui serait aussi une mémoire culturelle .Des expositions seraient aussi bien utiles et vivantes.
    Je suis aussi une « fabricartiste » de poupées, souvent noires avec des chutes de tissus de tous pays et aussi créatrice de santons.
    encouragements ...
    Sylvie Neyra

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  • Fabinta LO est fierté pour l’Afrique, qui investit beaucoup pour la liberté et l’autonomisation de la femme. Il est rare de trouver une personne comme elle. Elle a des qualités professionnelles et relationnelles extraordinaires. Aussi son combat pour les talibés demande énormément de ressources. Je lance un appel aux ONG, projets et programmes qui oeuvre dans ces domaines, d’appuyer les initiatives de la brave et infatigable MaMan Fabintou. Qu’Allah SWT vous facilitera le chemin bonne continuation pour la gestion de l’avenir des enfants et femmes.

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  • Madame Fabinta LO, une femme de culture, fière de ses origines, de sa race noire et de son attachement aux valeurs culturelles noires.
    Combattante et engagée, Fabinta LO est une référence dans le monde pour la lutte qu’elle mène pour le rayonnement de la culture africane.
    Nos félicitations et encouragements.

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  • Je trouve le combat de Mm Fabinta Lo noble. Nous l’avons connue au Burkina, avec un grand coeur depuis sa jeunesse.
    Généreuse , prête à partager

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  • Interwiew qui fait découvrir la personnalité d’une grande dame multidimensionnelle, qui incarne l’africanité et l’ouverture à l’occident, l’intellectualité et l’encrage de sa culture.
    Fabinta Lo est une grande dame qui mérite d’être soutenue par les autorités en charge de la culture au Sénégal

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