Issa Samb alias Joe Ouakam s’inscrit dans la grande et très ancienne tradition des « artistes sans œuvres ». Il est l’un de ceux-là construisant leur vie même en tant que leur principale œuvre, parfois en tant que seule et unique œuvre, car ils n’ont pas besoin de produire quoi que ce soit pour que leurs contemporains les considèrent des artistes, artistes d’eux-mêmes, avec une vie, une manière d’être et d’être vus comme chef-d’œuvre. Ils peuvent produire quelquefois ou rien jamais, sans que cela n’agisse d’une quelconque façon sur leur statut, sur la place qui leur est faite et l’importance qu’on leur donne.
Issa Samb prolonge magnifiquement cette tradition millénaire et, en offrant à notre pays une place considérable dans cette histoire mondiale si particulière des « artistes sans rien », il nous interroge tous, nous autres qui avons en commun de rêver de ou de nous acharner à produire, accumuler, stocker, vendre, acheter, gagner, dépasser, conquérir…
Comme Diogène dans l’ancienne Athènes, Issa Samb dans le nouveau Dakar étonne et contraste en faisant le choix de vivre hautement mais de rien, de vivre bellement mais sans rien : pas de salaire, pas de vente, pas de maison à lui, pas de bagage quand il voyage, pas d’électricité au milieu de Dakar, pas d’appareils modernes ni anciens, pas de téléphone, pas de chef, pas de guide, pas d’obligation, souvent, sans parler, sans manger, sans dormir et toujours sans travailler, sans… rien.
Et il est un domaine où Issa Samb va plus loin encore que le philosophe cynique dans la privation : Issa Samb, lui, ne dénonce pas l’usage par les autres de ce dont il ne veut pas pour lui-même : il ne reproche rien, à personne. Car tout autant voué qu’il soit à la disparition, la raréfaction, l’économie et au vide et tel qu’il fait de ce rien-là le chemin de la plénitude, il est un trésor dont Issa Samb dispose en abondance, c’est l’amour des autres et de la liberté de tous.
